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une leçon de candeur et de vérité

USA. Buteau et Trouillot : une leçon de candeur et de vérité
Par Frantz-Antoine Leconte (Ph.D)

une leçon de candeur et de vérité

une leçon de candeur et de vérité

Esprits curieux et prodigieux, Pierre Buteau et Lyonel Trouillot nous interpellent à partir de la maîtrise d’un art brillant et insolite, une démarche impressionnante qui s’oppose à celle de l’apprenti sorcier. Cette alchimie savante qui lie plusieurs domaines de la connaissance exprime avec une vigueur qui se renouvelle, un message puissant, multiple et cohérent. C’est que, ensemble, ils accumulent une énorme expérience qui découle du journalisme, du droit, de la diplomatie, de l’enseignement de l’his-toire et des lettres. Leur culture étendue n’empêche une carrière de nouveaux caciques actifs, lancés à la défense de notre pays, ce qui interdit la quiétude que procure une véritable neutralité politique. Eclaireurs du passé et acteurs du présent, ils émergent sur la scène intellectuelle, à l’instar de nos plus grands écrivains qui, malgré leur art consommé, n’écrivent que pour se consacrer à la défense de la mère patrie. Leurs propos traduisent éloquemment des préoccupations d’ordre politique, économique, moral et civique. L’exploration de leurs œuvres sert surtout à éclairer les rapports étroits qu’ils ont su ériger entre la littérature et l’histoire. Ils ont développé une forme d’historicisme qui permet à la littéra-ture d’enseigner l’histoire et à l’histoire d’enseigner la littérature. Mutation, peut-être. C’est cependant un procédé qui se révèle pétillant, plein de beauté et de mystères. Comment peut-on enseigner l’histoire à travers la littérature ? Peut-on proposer une lecture historienne de la littérature à dimension histori-que ? Peut-on proposer des ouvrages de littérature pour des prélèvements d’informations historiques ? Est-ce que cette tentative tend à la construction d’un imaginaire du passé ? Comment analyser les procédés narratifs de l’écart entre le passé et le présent ? C’est bien, on le croit, une tentative généreuse de mettre l’événement historique et la densité du romanesque à la portée de tout le monde. Ces flam-boyants promoteurs d’un mouvement qui nous paraît imprévisible, inédit et combien spectaculaire, sortent d’un moule unique qui leur permet de nous inoculer leur passion jouissive de la créativité.

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En écoutant Buteau et Trouillot, on ne peut s’empêcher d’évoquer aussi l’œuvre d’Enrique Dus-sel, un grand philosophe latino-américain qui nous dévoile la portée émancipatrice de la modernité qui explore sans surprise « le fondement idéologique de l’esclavage, du colonialisme, de la soumission des peuples périphériques… et de la mainmise euro-américaine sur une grande partie du monde. »1
Quand les grandes puissances européennes et l’Amérique du Nord, leur prolongement, parvi-ennent au centre de l’histoire mondiale, il s’érige une hégémonie géoculturelle et politique planétaire. L’universalisme de la modernité européenne qui entraîne la répression des cultures et des peuples au-tochtones, les rejette dans une périphérie misérabiliste. Le primitif et/ou le barbare, c’est-à-dire l’au-tre, existerait seulement s’il acceptait de s’émanciper en devenant européen à travers la colonisation culturelle, politique et économique. Il faut avoir le courage de dire que l’instrumentalisation de cette philosophie exclusiviste, « œuvre de civilisation », a autorisé une multiplicité de conquêtes, de guerres, d’exterminations et de génocides. Heureusement, les cultures pulvérisées et les innocentes victimes de cette injustice historique reviennent à la charge. En tant que richesses civilisationnelles, elles conduis-ent à l’édification d’une transmodernité non hégémoniste qui assure la survie et la réhominisation des peuples émasculés.

 

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La conquête des universités de New York (Brooklyn College) et de New Jersey (Seton Hall Uni-versity) et celle de Queens par Buteau et Trouillot a prouvé une chose fort significative ; que, entre poésie et politique se tisse un lien de solidarité profonde. La poésie va vers l’autre. Elle initie un dialogue qui conduit à la vérité de la politique-philosophique de la vie. Elle peut changer le monde, sauver la démocratie et la dignité de l’homme par son engagement. Avec Buteau et Trouillot, on a com-pris qu’en absence de la poésie qui vit dans la vie que le monde est en péril de dégradation, et va vers une sorte de remythification de l’être avec toutes les fictions anthropologiques qui s’imposaient dans le passé pour renforcer et justifier la division du monde, des sociétés autant que des communautés : leur chosification.

Si Pierre Buteau qui détient la présidence de la société d’Histoire, de Géographie et de Géol-ogie fait parler de lui en Haïti et dans le monde international, c’est surtout parce qu’il aide à mieux appréhender, à l’instar de l’historien Hugo Tolentino, l’important processus dépréciatif tricentenaire qui passe par l’animalisation de la victime pour aboutir à sa réification. L’histoire abonde d’épisodes où les théories les plus fallacieuses et dangereuses sont avancées pour justifier les concours d’atrocité et les championnats d’horreur. Dans de nombreuses études, Refonder Haïti (2010), Le prix du jean-claudisme (2013), Cent ans de domination américaine (2015) et colloques universitaires en Haïti, en République dominicaine, dans les Antilles, aux Etats-Unis, au Canada, en Europe, à Paris, à la maison de l’Amérique latine et récemment dans les Etats de New Jersey et de New York (Queens), c’est le discours qui revient afin d’éclairer brillamment les transmutations dialectiques inadmissibles imposées aux habitants non européens de notre planète. « Dans cette quête européenne de l’épuration des âmes, les autochtones devaient, pour parvenir au paradis céleste, passer par l’enfer terrestre de l’esclavage. »

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Le très inventif Antoine Lyonel Trouillot, romancier, nouvelliste, poète, éditorialiste – qui écrit aussi des textes mis en chansons par Manno Charlemagne, Toto Bissainthe, Jean Coulanges, et des dialogues pour le cinéma avec Raoul Pec –, détient un véritable record de publication. Les fous de Saint-Antoine (1989), Rue des pas perdus (1996), Thérèse en mille morceaux (2000), Bicentenaire (2004), L’amour avant que j’oublie (2007), Yanvalou pour Charlie (2009), La belle amour humaine (2011) et Parabole du failli (2013) se révèlent des chefs-d’œuvre qui défient ceux du monde internation-al. Depuis les dernières années, il a reçu plus d’une douzaine de distinctions littéraires des plus pres-tigieuses et sa voix s’est répercutée en France et dans le monde francophone. Il conquiert son lectorat par un verbe chaleureux, la densité de l’écriture et des thèmes actuels favoris. Les sagas de la migration, les configurations esthétiques, l’interminable quête de l’ailleurs, l’effondrement identitaire, le malaise existentiel de l’individu et du collectif et par-dessus tout, le regrettable déficit de citoyenneté qu’on relève des Haïtiens et Haïtiennes du pays et des communautés de l’extérieur. Ce qui importe le plus chez lui transcende le discours traditionnel de militantisme. C’est cette puissante voix polyphonique et omniprésente qui condamne la stratégie politique qui maintient la reproduction du dénuement et de la misère, les privilèges de l’élite, son culte du secret et la forteresse de silence qui enveloppe la péren-nisation des plus révoltantes injustices au pays. Au beau milieu des prestations de Trouillot durant sa dernière tournée aux Etats-Unis et particulièrement de celle du dimanche 29 avril à New York, il a évo-qué le meilleur d’Eduardo Galéano (Les veines ouvertes de l’Amérique latine) qui a écrit que Haïti « …a besoin de solidarité, de médecins, d’écoles, d’hôpitaux, d’une véritable collaboration qi lui permette de retrouver la souveraineté alimentaire assassinée par le Fonds monétaire international, la Banque mon-diale et autres philanthropes. Cette solidarité est notre gratitude, de nous, latinos-américains, envers cette petite grande nation qui grâce à son exemple contagieux, nous a ouvert les portes de la liberté. »

1.- Dans un article dans Le Devoir publié le jeudi 27 février 2014 titré « La modernité et le colonialisme

, Agusti Nicolau parle du livre d’Enrique Dussel Décoloniser l’ordre géopolitique mondial.

Notes

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Ce rapport accuse du retard. Tous ceux qui ont assisté aux prestations de ces deux tribuns, Buteau et Trouillot (environ 150 invités), n’ont pas cessé d’exiger un article faisant état de la teneur des discours et d’autres voulaient des copies de DVD et même de CD ou de cassettes sonores pour pouvoir réécouter leurs passages favoris. Cependant, on attendait la copie des médias et on est encore au même stade. Mais les professeurs Pierre Buteau et Antoine Lyonel Trouillot, au cours de leur tournée à l’université de Brooklyn, à l’université Seton Hall à New Jersey et à la salle de conférence du Sacré-Cœur de Queens, à New York, ont réalisé une si impressionnante performance que nous avons décidé, à l’aide de nos notes, de reconstituer ce que nous croyons être l’essentiel. Nous, membres de LABAPEC et de Reflets, recevons encore de chaleureus-es félicitations pour avoir organisé cette conférence à succès, nous voudrions aussi les transmettre, ainsi que nos remerciements, aux membres de Primevère et de la Fondation Toussaint Louverture qui ont en-tièrement collaboré à cette entreprise du 29 avril 2018.
Roland Delmas et Frantz-Antoine Leconte